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Conakry, Guinea, Sept. 5, 2021 -Editorial credit: Nick_ Raille_07 / Shutterstock.com
Members of Guinea's armed forces after the arrest of Guinea's president, Alpha Conde, in a coup in Conakry, Guinea, Sept. 5, 2021 Editorial credit: Nick_ Raille_07 / Shutterstock.com

Coup d’Etat en Guinée : le mirage des mandats perpétuels

Scroll down for the unofficial English translation

La situation en Guinée est intimement liée au refus de certains chefs d’État de limiter le nombre de leurs mandats. L’Afrique de l’Ouest doit scruter Conakry en s’interrogeant sur l’état de la démocratie dans la région.

Par Elhadj As Sy

« Si le peuple est écrasé par ses propres élites, c’est à l’armée de donner au peuple sa liberté », a déclaré le colonel Mamady Doumbouya, le nouvel homme fort de Conakry, pour justifier son coup d’État du 5 septembre. Il citait Jerry Rawlings, l’officier qui avait pris le pouvoir au Ghana en 1979.

La référence historique est parlante car la situation en Afrique de l’Ouest commence en effet à rappeler une autre époque, caractérisée par des dérives autoritaires, l’instabilité politique croissante et parfois, comme maintenant en Guinée, des coups d’État.

L’Afrique de l’Ouest a pourtant déjà payé un lourd tribut aux régimes militaires. C’est précisément pour cela que la région, qui a connu une longue période de relative paix et prospérité depuis le retour à la démocratie à la fin des années 1990, a proscrit les coups d’État dans ses traités, et les dénonce systématiquement aujourd’hui. Un large consensus demeure d’ailleurs en Afrique contre un retour aux gouvernements militaires.

Attachement à la démocratie

Comme le disait inlassablement Kofi Annan, en effet, la démocratie n’est pas seulement un bien en soi, mais aussi le système le plus propice à la paix, au développement inclusif et au respect des droits humains. Et les sondages d’Afrobaromètre confirment, année après année, l’attachement à la démocratie de la grande majorité de la population d’Afrique de l’Ouest.

CINQ DES DOUZE PAYS QUI ONT CONNU LE PIRE RECUL DE LA DÉMOCRATIE DANS LE MONDE DEPUIS 2015 SE SITUENT EN AFRIQUE DE L’OUEST

En revanche, selon les mêmes sondages, la majorité demeure insatisfaite du fonctionnement de ses gouvernements, dont beaucoup ne sont démocratiques qu’en apparence. Ainsi, Freedom House note que cinq des douze pays qui ont connu le pire recul de la démocratie dans le monde depuis 2015 se situent en Afrique de l’Ouest.

Tous les pays de la région organisent certes des élections, mais ces processus tendent à être de moins en moins crédibles. La politisation du recensement, des commissions électorales, de l’administration, de la justice et de la vie économique, souvent associée à des pressions sur l’opposition, la presse et la société civile, sapent la légitimité de maintes élections.

Et les élections – aussi importantes soient-elles – ne sont qu’un pan de la vie démocratique, et force est de constater des dérives autoritaires dans l’exercice du pouvoir dans bien des pays de la région.

Dérives autoritaires

En Guinée, il faut ajouter à tout cela un changement très contesté de la Constitution en 2020, pour permettre au président Alpha Condé de se représenter pour un troisième mandat, malgré les nombreuses voix qui se sont élevées contre ce projet. La Fondation Kofi Annan et le National Democratic Institute ont conduit une mission pré-électorale conjointe de haut niveau en décembre 2019, à l’issue de laquelle ils avaient, comme beaucoup d’autres partenaires, déconseillé au président de changer la Constitution.

Le président est passé outre à ces conseils et aux vives tensions suscitées par les doutes sur la légitimité de ce troisième mandat. Le pays en a malheureusement fait les frais le 5 septembre avec ce coup d’État condamné par les instances régionales et internationales.

Cette issue est d’autant plus regrettable qu’Alpha Condé a passé la majeure partie de sa vie à se battre pour la démocratie. À sa victoire en 2011, il avait même annoncé son ambition de devenir le Nelson Mandela de la Guinée. Sans doute a-t-il oublié par la suite que Madiba s’était retiré après un seul mandat en raison de son âge avancé.

Que faire à présent ? Tout d’abord, si la libération des prisonniers politiques peut être saluée, il faudra surveiller attentivement la mise en œuvre des autres promesses faites par le colonel Doumbouya, surtout en ce qui concerne la tenue d’élections dans dix-huit mois.

Encadrer la transition

Les partis politiques et la société civile de Guinée doivent jouer ce rôle de surveillance mais, au regard du rapport de forces, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine et l’ONU devront aussi contribuer à encadrer la transition. C’est bien ce à quoi la Cedeao semble s’atteler, ayant décidé de suspendre la Guinée et d’envoyer rapidement une mission de haut niveau à Conakry.

Le rapport de notre mission avait relevé de nombreux problèmes qui devront être traités avant la tenue d’un nouveau scrutin. Le gouvernement de transition pourrait certes s’y référer, mais il faudrait surtout organiser un grand dialogue inclusif avec les partis politiques, la société civile et toutes les forces du pays pour dégager le consensus nécessaire sur les mesures à prendre pour assurer un retour de la confiance dans les processus électoraux.

LA NON-LIMITATION DES MANDATS ENTRAÎNE UN PLUS GRAND RISQUE DE CORRUPTION, D’ÉROSION DES DROITS CIVIQUES ET DE CONFLITS

Enfin, ce coup d’État, survenu l’année même du 20e anniversaire du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Cedeao, est l’occasion pour les pays de la région de reconduire les normes auxquelles ils ont souscrit en 2001, et d’en adopter de nouvelles afin de prévenir des interventions militaires.

À la lumière des événements en Guinée, aucune ne paraît plus urgente et essentielle que le respect des limitations des mandats présidentiels, telles qu’ancrées dans les constitutions. Parce que les recherches en science politique montrent que la non-limitation des mandats entraîne un plus grand risque de corruption, d’érosion des droits civiques et de conflits, de nombreuses constitutions prévoient une limite stricte au nombre des mandats, limite que trop de dirigeants cherchent à contourner. Mais que peut-on vraiment prétendre accomplir en quinze ans qu’on n’a pas accompli en dix ?

Il faut espérer que les déboires de la Guinée servent de sonnette d’alarme à toute l’Afrique de l’Ouest. Comme le dit le proverbe : « Quand la maison de ton voisin brûle, hâte-toi de l’aider à éteindre le feu de peur que celui-ci ne s’attaque à la tienne. »

Elhadj As Sy est le Président du Conseil de la Fondation Kofi Annan et l’ancien secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Cette tribune a d’abord été publiée par Jeune Afrique.


The following is an unofficial translation of the article published in Jeune Afrique:

The coup in Guinea or the illusion of endless mandates

By Elhadj As Sy, Chair of the Board of the Kofi Annan Foundation and former Secretary-General of the International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies

“If the people are crushed by their own elites, it is up to the army to give the people their freedom,” said Colonel Mamady Doumbouya, Conakry’s new strongman, to justify his September 5 coup. He quoted Jerry Rawlings, the officer who took power in Ghana in 1979.

The historical reference is telling because the situation in West Africa is indeed beginning to recall another era, characterized by authoritarian drift, growing political instability and sometimes, as now in Guinea, coups.

Yet West Africa has already paid a heavy price to military regimes. This is precisely why the region, which has enjoyed a long period of relative peace and prosperity since the return to democracy in the late 1990s, has outlawed coups d’état in its treaties, and systematically denounces them today. There remains a broad consensus in Africa against a return to military rule.

Commitment to democracy

As Kofi Annan repeated many times, democracy is not only beneficial in itself. It is also the system most conducive to peace, inclusive development and respect for human rights. And Afrobarometer polls confirm, year after year, the commitment of the vast majority of the population of West Africa to democracy.

On the other hand, according to the same polls, the majority remain dissatisfied with the functioning of their governments, many of which are democratic only in name. Freedom House notes that five of the 12 countries with the worst decline in democracy in the world since 2015 are in West Africa.

While all countries in the region do hold elections, these processes tend to be less and less credible. The politicization of voter registration, of electoral commissions, of the judiciary and of economic activity, often combined with pressure on the opposition, the press and civil society, undermine the legitimacy of many elections.

Elections – important as they are – are in any case only one part of democratic life, and there is evidence of authoritarian excesses in the exercise of power in many countries in the region.

Authoritarian excesses

In Guinea, things were made worse by the highly contested 2020 change to the constitution, which allowed President Alpha Conde to run for a third term, despite the many voices speaking against it. The Kofi Annan Foundation and the National Democratic Institute conducted a joint high-level pre-election mission in December 2019, at the end of which they -like many other partners – advised the president against changing the constitution.

The president ignored this advice and the many tensions caused by doubts about the legitimacy of his third term. Unfortunately, the country paid the price on September 5 with a coup d’état that was condemned by regional and international bodies.

This outcome is all the more regrettable because Alpha Conde has spent most of his life fighting for democracy. Upon his victory in 2011, he even announced his ambition to become Guinea’s Nelson Mandela. No doubt he later forgot that Madiba had retired after only one term because of his advanced age.

What can be done now? First, while the release of political prisoners is to be welcomed, the implementation of other promises made by Colonel Doumbouya will have to be carefully monitored, especially with regard to the holding of elections in eighteen months.

Framing the transition

Guinea’s political parties and civil society must play this monitoring role, but given the balance of power, the Economic Community of West African States (ECOWAS), the African Union and the United Nations will also have to help oversee the transition. ECOWAS seems to intend to do exactly that, having decided to suspend Guinea and to quickly send a high-level mission to Conakry.

The report of our mission identified many problems that will need to be addressed before a new election can be held. The transitional government could certainly refer to the report, but most important would be the holding of a broad and inclusive dialogue with the political parties, civil society and all stakeholders in the country to reach the necessary consensus on measures to be taken to ensure a return of confidence in the country’s electoral processes.

Finally, this coup d’état, which occurred in the same year as the 20th anniversary of the Ecowas Protocol on Democracy and Good Governance, is an opportunity for the countries of the region to renew the norms to which they subscribed in 2001, and to adopt new ones to prevent military interventions.

In light of events in Guinea, none seems more important than respect for presidential term limits as enshrined in constitutions. Because political science research shows that unlimited terms lead to greater risk of corruption, erosion of civil rights and conflict, many constitutions provide for strict term limits, which too many leaders seek to circumvent. But what can one really seek to accomplish in 15 years that one has not accomplished in 10?

It is to be hoped that Guinea’s setbacks will serve as a wake-up call to all West Africa. As the saying goes, “when your neighbour’s house is burning, hasten to help him put out the fire lest it spread to your own house.”